Gunvor au Congo: pétrole, cash et détournements

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Public Eye a enquêté durant deux ans sur des contrats très lucratifs obtenus par Gunvor en République du Congo. Pour faire main basse sur l’or noir congolais, le géant suisse du négoce s’est entouré de personnages sulfureux et a versé des commissions mirobolantes. Depuis 2012, il impute ces malversations à un ancien employé. Notre enquête prouve que les affaires troubles ont continué bien après son licenciement. Le Ministère public de la Confédération a finalement condamné Gunvor en 2019 pour défaut d’organisation en lien avec des faits de corruption au Congo-Brazzaville et en Côte d’Ivoire. La société genvoise devra verser 4 millions de francs d’amende et 90 millions de francs de créance compensatrice.

Rapport: Gunvor au Congo (2017)

Pétrole, cash et détournements: les aventures d'un négociant suisse à Brazzaville

Plongeon dans les eaux troubles du négoce des matières premières, notre enquête relate les affaires de Gunvor (quatrième négociant en pétrole indépendant au monde) en République du Congo, un pays où la corruption est endémique. Cette société genevoise longtemps spécialisée dans la commercialisation du pétrole russe a tenté de se diversifier dès la fin des années 2000 en s’approvisionnant en Afrique. Pour se ménager une place au Congo, un marché convoité et risqué, le quatrième négociant de pétrole au monde a su jouer la carte de sa proximité avec le Kremlin, au moment où il réfutait publiquement de tels liens.

En 2011, Gunvor décroche le Graal en obtenant un très profitable contrat de brut de la compagnie pétrolière nationale du Congo. La société genevoise octroie aussi des prêts qui alimentent l’État, en violation des engagements internationaux conclus par Brazzaville. La firme n’hésite pas à recourir aux services d’intermédiaires au profil douteux.

Public Eye documente également la réaction de Gunvor lorsque l’affaire a été révélée. La société a alors accablé un ancien employé, accusé d’avoir agi à son insu et à son détriment. Sur la base d’informations exclusives, Public Eye peut démontrer que des affaires problématiques ont continué à être pratiquées bien après.

La stratégie de communication de Gunvor en 3 points – par Géraldine Viret, porte-parole de Public Eye.

L’histoire de Gunvor au Congo est emblématique des problèmes qui gangrènent le secteur du négoce. Elle montre les conséquences de l’absence de régulation et la responsabilité de la Suisse dans la malédiction des ressources. S’opposer à une réglementation stricte de ce secteur à haut risque est absurde: la Suisse doit prendre des mesures politiques, notamment en imposant la transparence des paiements et une autorité de surveillance des marchés des matières premières (la Rohma).

Pourquoi la Suisse doit agir – Andreas Missbach, membre de la direction de Public Eye.

Dans une analyse complétant le rapport, Public Eye expose les leçons qu’il convient d’en tirer. Cette affaire montre que les arguments avancés dans les débats politiques par le secteur du négoce pour s’opposer à toute régulation ne résistent pas à l’examen de leurs pratiques. Public Eye énonce des recommandations à l’attention des autorités suisses afin que celles-ci luttent enfin efficacement contre la malédiction des ressources.

La condamnation de Gunvor par le Ministère public de la Confédération, en octobre 2019, confirme largement les résultats de notre enquête: le négociant genevois a été condamné à verser un montant total de près de 94 millions de francs pour corruption d’agents publics étrangers au Congo-Brazzaville et en Côte d’Ivoire. Gunvor n’avait en outre mis en place aucune procédure de diligence raisonnable pour empêcher la corruption. L’enquête du MPC conclut que des signaux d’alerte et d’autres irrégularités ont été ignorés. Selon le communiqué du MPC:

«Il apparaît ainsi que le risque de corruption était alors accepté par Gunvor et était inhérent à l’activité commerciale de l’entreprise»

Coupable de «graves défaillances dans son organisation interne», la société genevoise devra verser 4 millions de francs d’amende et près de 90 millions de francs de créance compensatrice.

Grâce cette enquête, Public Eye a obtenu également que le Conseil des États accepte un postulat d’Anne Seydoux-Christe demandant au Conseil fédéral de déterminer si la supervision bancaire est suffisante pour juguler les risques de blanchiment dans le secteur des matières premières. Le Conseil fédéral a publié son rapport sur la «Supervision des activités de négoce de matières premières sous l’angle du blanchiment» en février 2020. Bien qu’il y reconnaisse officiellement le «risque élevé de corruption» auquel est exposé le secteur du négoce de matières premières, il ne propose aucune mesure efficace.

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Suite à la publication:

Dans les eaux troubles du négoce de matières premières