Credit Suisse est condamné mais la justice helvétique manque de mordant

La deuxième banque de Suisse a été condamnée aujourd’hui par le Tribunal pénal fédéral pour avoir failli à prévenir le blanchiment de millions de francs pour le compte de trafiquants de drogue bulgares. Si ce verdict sonne comme un avertissement à l’ensemble de la place financière, il expose aussi les faiblesses du dispositif helvétique aux niveaux préventif et répressif. La Suisse doit renforcer les outils de surveillance à disposition de la Finma et infliger des amendes dissuasives.
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Le procès de Credit Suisse devant le Tribunal pénal fédéral a pris fin aujourd’hui à Bellinzone. La banque a été reconnue coupable de «défaut d’organisation» (art. 102 CP), mais la sanction reste peu dissuasive: 19 millions de francs de créance compensatrice et une amende de 2 millions. La cour a estimé que la banque, qui a généré 22,7 milliards de francs de revenus en 2021, n’avait pas pris les mesures nécessaires pour empêcher le blanchiment de millions de francs provenant du trafic de cocaïne. Elle a constaté l’existence de «défaillances au sein de la banque […], tant dans le suivi des relations bancaires liées à l’organisation criminelle que dans la surveillance du respect des règles anti-blanchiment par la hiérarchie, le service juridique et le service Compliance.» L’ancienne gestionnaire de fortune de Credit Suisse a quant à elle été condamnée à 20 mois de prison avec sursis, assortis d’une amende de quelque 30 000 francs pour blanchiment d’argent aggravé.        

Les faits au cœur de ce procès sont symptomatiques du modèle d’affaires problématique de la deuxième plus grande banque du pays. Credit Suisse avait noué dès 2004 des relations d’affaires avec le chef d’un réseau criminel bulgare actif dans le trafic de cocaïne et l’un de ses acolytes, enregistrés auprès de l’établissement comme de riches entrepreneurs immobiliers. Selon le Ministère public de la Confédération, la gestionnaire de Credit Suisse avait permis aux trafiquants de blanchir 55 millions de francs en quatre ans – dont des dizaines de millions déposés en espèces aux guichets de la succursale de Zurich. Les éléments antérieurs au 26 juin 2007 sont toutefois prescrits, Credit Suisse ayant usé de manœuvres dilatoires afin de retarder le procès (opposition à la transmission de documents, demande de mise sous scellés).  

Cette affaire, comme les révélations faites sur Credit Suisse par les «Suisse Secrets» en février, a exposé les défaillances d’un système helvétique qui ne permet pas de lutter efficacement contre le blanchiment d’argent. Avec la condamnation de la Falcon Bank en décembre 2021, c’est la deuxième fois seulement en Suisse qu’une banque est reconnue coupable de défaut d’organisation. D’autres sont toutefois sous enquête pénale: PKB PrivatBank, la Banque Cramer & Cie et J. Safra Sarasin (le scandale Petrobras) et Lombard Odier (les fonds Gulnara Karimova). Si elle veut cesser de maintenir sa place financière au rang de paradis pour la criminalité économique, la Suisse doit renforcer les dispositifs de surveillance et durcir les sanctions. Au Parlement, la pression politique augmente pour doter enfin le gendarme des marchés financiers, la Finma, d’« outils solides lui permettant de poursuivre efficacement les infractions », comme le demande un postulat déposé fin 2021 par la conseillère nationale Prisca Birrer-Heimo (PS/LU).  

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