Les lacunes de la législation suisse : les fonds Ben Ali

En 23 ans de règne, l’ancien président tunisien Zine el Abidine Ben Ali et son clan sont accusés d’avoir détourné des millions de dollars de fonds publics, dont plus de soixante millions ont été localisés sur les comptes de banques suisses.

Le 19 janvier 2011, quelques jours seulement après la chute de l’ancien président tunisien, le Conseil fédéral a ordonné le gel des avoirs du clan Ben Ali. Le Ministère public de la Confédération (MPC) a ouvert plusieurs procédures, pour blanchiment d’argent, participation à une organisation criminelle et corruption d’agents publics étrangers. Le 9 avril 2014, le MPC a décidé de restituer une partie des avoirs jugés illicites (40 millions de francs) au peuple tunisien. Cependant, le 9 décembre 2014, le Tribunal pénal fédéral a annulé cette décision.

Les lacunes du dispositif anti-blanchiment

Comment de telles sommes, appartenant aux proches d’un régime notoirement corrompu, ont-elles pu se retrouver dans les coffres de banques suisses, alors que la place helvétique se targue de disposer de l’un des meilleurs dispositifs anti-blanchiment au monde? Dans la foulée du Printemps arabe, l’autorité de surveillance du secteur financier, la Finma, a examiné dans quelle mesure les intermédiaires financiers avaient rempli leurs devoirs de diligence, conformément à la Loi fédérale sur le blanchiment d’argent (LBA). Elle a jugé que trois banques avaient enfreint leurs devoirs au moment des contrôles à l’ouverture de comptes et lors de la vérification de l’arrière-plan économique de plusieurs transactions.

Suite à ces décisions, les banques fautives ont toutes trois dû s’acquitter des frais de procédure, soit 46 000, 49 000 et 88 000 francs. Des sommes toutefois dérisoires comparées aux 320 millions de dollars que le clan Ben Ali aurait fait transiter par la place financière genevoise durant les années 2000. Par ailleurs, la Finma a interdit à une seule banque d’ouvrir des comptes pour des personnes exposées politiquement pendant trois ans.

Certes, la Finma a rendu des décisions constatant des violations à la LBA. Il y a pourtant lieu de se demander si les mesures prises par l’autorité de surveillance du secteur financier ont été suffisantes, proportionnées et dissuasives. Sous l’angle du droit pénal, aucune des trois banques n’a été inquiétée par le MPC.

La loi fédérale sur le blanchiment d’argent (LBA) doit être renforcée

Depuis de nombreuses années, Public Eye demande aux autorités une application plus stricte de la loi sur le blanchiment d’argent (LBA). Elle s’engage pour que les intermédiaires financiers qui ne remplissent pas leurs devoirs de diligence soient dûment sanctionnés et pour que le champ d’application de la loi soit élargi. A cette fin, elle a pris position en 2013 sur le projet de loi mettant en œuvre les recommandations du Groupe d’action financière (GAFI). La loi a été adoptée le 12 décembre 2014 par les Chambres fédérales.