Les lacunes de la législation suisse : les fonds Karimova

La fille du président ouzbek Gulnara Karimova et ses proches seraient impliqués dans de nombreux scandales liés au marché national des télécommunications. Des centaines de millions de dollars auraient été détournés par le biais d’un réseau complexe de sociétés offshores, ayant des ramifications en France, en Grande-Bretagne, en Russie, en Suède et en Suisse. Plus de 800 millions de francs ont été localisés sur des comptes bancaires suisses.

En juillet 2012, suite à une communication du Bureau de communication en matière de blanchiment d’argent (MROS), le Ministère public de la Confédération (MPC) a ouvert des procédures pénales pour blanchiment d’argent contre quatre membres de l’entourage de Gulnara Karimova. Le 16 septembre 2013, l’enquête a été étendue à la fille du président ouzbek, menant notamment à la mise sous séquestre de sa demeure, acquise pour plus de 18 millions de francs à Cologny (GE). Finalement, plus de 800 millions de francs ont été bloqués auprès d’intermédiaires financiers suisses dans le cadre des enquêtes.

Cette affaire montre encore une fois que des fonds de personnes exposées politiquement (PEP) suspectés d’origine illicite ont infiltré la place bancaire suisse. On peut se demander si les devoirs de diligence accrus prévus par la Loi fédérale sur le blanchiment d’argent (LBA) ont été respectés par les intermédiaires financiers concernés.

Les limites de la loi sur la restitution des avoirs illicites

Plus de 800 millions de francs ont été gelés dans le cadre des procédures ouvertes contre le clan Karimova. Toutefois, le sort des fonds bloqués est loin d’être réglé. Cette affaire montre que le champ d’application de la loi sur la restitution des avoirs illicites (LRAI) est trop restrictif. Pour que la LRAI s’applique, il faut d’une part que l’État d’origine des fonds ait déposé une demande d’entraide pénale, et d’autre part que la situation au sein de l'État requérant soit jugé «défaillant». Or dans le cas des fonds Karimova, aucune demande d’entraide judiciaire n’a été adressée aux autorités suisses. Et même si cela avait été le cas, la LRAI n’aurait pas pu s’appliquer sans changement de régime en Ouzbékistan.

Cette loi, qui est entrée en vigueur le 1er février 2011, représente pourtant un progrès important en matière de restitution des avoirs illicites. Elle prévoit en effet le mécanisme du «renversement du fardeau de la preuve», qui permet de saisir et de confisquer des fonds lorsque leur détenteur s’avère incapable de prouver qu’ils ont été acquis légalement. Si la LRAI devait s’appliquer dans cette affaire, il reviendrait au clan Karimova de prouver l’origine licite des fonds bloqués. Sans ce dispositif facilitant l’apport de la preuve et sans l’aide des autorités ouzbèkes, il est à craindre que l’argent ne puisse être confisqué par le biais des procédures pénales.

Le projet de loi sur le blocage et la restitution des avoirs illicites

L’affaire Karimova montre l’insuffisance du dispositif actuel et la nécessité d’élargir le champ d’application de la loi au cas où aucune demande d’entraide judiciaire n’est adressée aux autorités suisses. La loi sur le blocage et la restitution des avoirs illicites de personnes exposées à l’étranger (LVP), qui devrait entrer en vigueur en 2016, n’y remédie pas. Public Eye (anciennement Déclaration de Berne) a analysé ce projet de loi dans une prise de position publiée en 2013. Elle se positionne en faveur de mécanismes facilitant la confiscation et la restitution des avoirs illicites.